Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 novembre 2010 par le Conseil d'État (décision n° 342957 du 24 novembre 2010), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par le Comité Harkis et Vérité, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions :
- de l'article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés ;
- de l'article 2 de la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie ;
- de l'article 47 de la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 de finances rectificative pour 1999 ;
- de l'article 67 de la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002 ;
- des articles 6, 7 et 9 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés ;
Vu la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie ;
Vu la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 de finances rectificative pour 1999 ;
Vu la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002 ;
Vu la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Comité Harkis et Vérité, enregistrées les 20 décembre 2010, 4 janvier 2011 et 1er février 2011 ;
Vu les observations rectifiées produites par le Premier ministre, enregistrées le 20 décembre 2010 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Jean-Emmanuel Nunes, avocat au barreau de Paris pour le requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 25 janvier 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 susvisée : « Une allocation de 60 000 F est versée, à raison de 25 000 F en 1989 et 1990, et de 10 000 F en 1991, aux anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives ayant servi en Algérie, qui ont conservé la nationalité française en application de l'article 2 de l'ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962 relative à certaines dispositions concernant la nationalité française, prises en application de la loi n° 62-421 du 13 avril 1962 et qui ont fixé leur domicile en France.
« En cas de décès de l'intéressé, l'allocation est versée sous les mêmes conditions au conjoint survivant.
« À défaut de conjoint survivant, l'allocation est versée à parts égales aux enfants lorsqu'ils ont la nationalité française et qu'ils ont fixé leur domicile en France.
« La date limite pour demander l'allocation prévue au présent article est fixée au 31 décembre 1997 » ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 susvisée : « Une allocation forfaitaire complémentaire de 110 000 F est versée à chacun des bénéficiaires des dispositions du premier alinéa de l'article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés s'il répond, à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, aux conditions posées par cet alinéa.
« En cas de décès de l'intéressé, l'allocation forfaitaire complémentaire est versée au conjoint survivant remplissant les conditions de nationalité et de domicile prévues au premier alinéa de l'article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 précitée à la date d'entrée en vigueur de la présente loi. Lorsque l'intéressé a contracté plusieurs mariages, l'allocation forfaitaire complémentaire est répartie à parts égales entre le conjoint survivant et le ou les précédents conjoints qui répondent aux conditions susmentionnées sauf s'ils sont divorcés remariés.
« Si l'un des conjoints ou ex-conjoints est décédé ou ne répond pas à ces conditions, l'allocation à laquelle il aurait pu prétendre est répartie en parts égales entre les enfants nés de son union avec l'intéressé, s'ils possèdent la nationalité française et ont fixé leur domicile sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne à la date d'entrée en vigueur de la présente loi » ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 47 de la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 susvisée : « I. Une allocation de reconnaissance indexée sur le taux d'évolution en moyenne annuelle des prix à la consommation de tous les ménages (hors tabac) non réversible, sous conditions d'âge, est instituée, à compter du 1er janvier 1999, en faveur des personnes désignées par le premier alinéa de l'article 2 de la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie.
« Les conditions d'attribution et le montant de cette rente sont définis par décret.
« I bis. Une allocation de reconnaissance indexée sur le taux d'évolution en moyenne annuelle des prix à la consommation de tous les ménages (hors tabac) est versée, sous conditions d'âge, aux conjoints ou ex-conjoints survivants non remariés des personnes désignées au premier alinéa de l'article 2 de la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 précitée et remplissant les conditions de nationalité telles que définies à l'article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés. Cette disposition entre en vigueur à compter du 1er janvier 2001. Les conditions d'attribution et le montant de cette rente sont définis par décret » ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 67 de la loi n° 2002 1576 du 30 décembre 2002 susvisée : « I. Aux I et I bis de l'article 47 de la loi de finances rectificative pour 1999 (n° 99-1173 du 30 décembre 1999), les mots : " rente viagère " sont remplacés par les mots : " allocation de reconnaissance indexée sur le taux d'évolution en moyenne annuelle des prix à la consommation de tous les ménages (hors tabac) " et les mots : " sous conditions d'âge et de ressources " sont remplacés par les mots : " sous condition d'âge ".
« II. Le 4° de l'article 81 du code général des impôts est ainsi modifié :
« 1° Ses dispositions constituent un a ;
« 2° Il est complété par un b ainsi rédigé :
« b. L'allocation de reconnaissance prévue aux I et I bis de l'article 47 de la loi de finances rectificative pour 1999 (n° 99-1173 du 30 décembre 1999) en faveur respectivement des personnes désignées au premier alinéa de l'article 2 de la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie et de leurs conjoints ou ex-conjoints survivants non remariés.
« III. Les dispositions du I entrent en vigueur le 1er janvier 2003. Les dispositions du II sont applicables pour l'imposition des revenus perçus à compter du 1er janvier 2003 » ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 susvisée : « I. Les bénéficiaires de l'allocation de reconnaissance mentionnée à l'article 67 de la loi de finances rectificative pour 2002 (n° 2002-1576 du 30 décembre 2002) peuvent opter, au choix :
« - pour le maintien de l'allocation de reconnaissance dont le taux annuel est porté à 2 800 euros à compter du 1er janvier 2005 ;
« - pour le maintien de l'allocation de reconnaissance au taux en vigueur au 1er janvier 2004 et le versement d'un capital de 20 000 euros ;
« - pour le versement, en lieu et place de l'allocation de reconnaissance, d'un capital de 30 000 euros.
« En cas d'option pour le versement du capital, l'allocation de reconnaissance est servie au taux en vigueur au 1er janvier 2004 jusqu'au paiement de ce capital. À titre conservatoire, dans l'attente de l'exercice du droit d'option, l'allocation de reconnaissance est versée à ce même taux.
« En cas de décès, à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, de l'ancien supplétif ou assimilé et de ses conjoints ou ex-conjoints survivants lorsqu'ils remplissaient les conditions fixées par l'article 2 de la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie, une allocation de 20 000 euros est répartie en parts égales entre les enfants issus de leur union s'ils possèdent la nationalité française et ont fixé leur domicile en France ou dans un État de la Communauté européenne au 1er janvier 2004.
« Les personnes reconnues pupilles de la Nation, orphelines de père et de mère, de nationalité française et ayant fixé leur domicile en France ou dans un État de la Communauté européenne au 1er janvier 2004, dont l'un des parents a servi en qualité de harki ou membre d'une formation supplétive, non visées à l'alinéa précédent, bénéficient d'une allocation de 20 000 euros, répartie en parts égales entre les enfants issus d'une même union.
« Les modalités d'application du présent article, et notamment le délai imparti pour exercer l'option ainsi que l'échéancier des versements prenant en compte l'âge des bénéficiaires, sont fixés par décret en Conseil d'État.
« II. Les indemnités en capital versées en application du I sont insaisissables et ne présentent pas le caractère de revenus pour l'assiette des impôts et taxes recouvrés au profit de l'État ou des collectivités publiques » ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la loi du 23 février 2005 susvisée qui modifie les conditions d'attribution aux rapatriés des aides spécifiques au logement : « I. Aux articles 7, 8 et 9 de la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie, la date : " 31 décembre 2004 " est remplacée par la date : " 31 décembre 2009 ".
« II. Le deuxième alinéa de l'article 7 de la même loi est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Cette aide est attribuée aux personnes précitées destinées à devenir propriétaires en nom personnel ou en indivision avec leurs enfants à condition qu'elles cohabitent avec ces derniers dans le bien ainsi acquis.
« Elle est cumulable avec toute autre forme d'aide prévue par le code de la construction et de l'habitation.
« III. Au premier alinéa de l'article 9 de la même loi, les mots : " réalisée avant le 1er janvier 1994 " sont remplacés par les mots : " réalisée antérieurement au 1er janvier 2005 " » ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article 9 de la même loi du 23 février 2005 : « Par dérogation aux conditions fixées pour bénéficier de l'allocation de reconnaissance et des aides spécifiques au logement mentionnées aux articles 6 et 7, le ministre chargé des rapatriés accorde le bénéfice de ces aides aux anciens harkis et membres des formations supplétives ayant servi en Algérie ou à leurs veuves, rapatriés, âgés de soixante ans et plus, qui peuvent justifier d'un domicile continu en France ou dans un autre État membre de la Communauté européenne depuis le 10 janvier 1973 et qui ont acquis la nationalité française avant le 1er janvier 1995.
« Cette demande de dérogation est présentée dans le délai d'un an suivant la publication du décret d'application du présent article » ;
8. Considérant que, selon le requérant, ces dispositions, qui subordonnent l'attribution des allocations et rentes de reconnaissance et aides spécifiques au logement précitées à des conditions de résidence et de nationalité, portent atteinte au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
9. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
10. Considérant qu'en instituant les allocations et rentes de reconnaissance et aides spécifiques au logement précitées en faveur des anciens harkis et membres des formations supplétives ayant servi en Algérie et qui ont fixé leur domicile en France ou dans un autre État de l'Union européenne, le législateur a décidé de tenir compte des charges entraînées par leur départ d'Algérie et leur réinstallation dans un État de l'Union européenne ; que, pour ce faire, il a pu, sans méconnaître le principe d'égalité, instituer un critère de résidence en lien direct avec l'objet de la loi ; qu'en revanche, il ne pouvait, sans méconnaître ce même principe, établir, au regard de l'objet de la loi, de différence selon la nationalité ; qu'en conséquence, doivent être déclarés contraires aux droits et libertés que la Constitution garantit :
- dans le premier alinéa de l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987 susvisée, les mots : « qui ont conservé la nationalité française en application de l'article 2 de l'ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962 relative à certaines dispositions concernant la nationalité française, prises en application de la loi n° 62-421 du 13 avril 1962 et » ;
- dans l'avant-dernier alinéa du même article, les mots : « ont la nationalité française et qu'ils » ;
- dans le dernier alinéa de l'article 2 de la loi du 11 juin 1994 susvisée, les mots : « possèdent la nationalité française et » ;
- dans le paragraphe I bis de l'article 47 de la loi du 30 décembre 1999 susvisée, les mots : « et remplissant les conditions de nationalité telles que définies à l'article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés » ;
- dans le sixième alinéa de l'article 6 de la loi du 23 février 2005 susvisée, les mots : « possèdent la nationalité française et » ;
- dans le septième alinéa du même article, les mots : « de nationalité française et » ;
- dans l'article 9 de la même loi, les mots : « et qui ont acquis la nationalité française avant le 1er janvier 1995 » ;
11. Considérant que les autres dispositions contestées ne sont contraires ni au principe d'égalité ni à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ;
12. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que la présente déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu'elle peut être invoquée dans les instances en cours à cette date et dont l'issue dépend de l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles,
DÉCIDE :
Article 1er. - Sont déclarées contraires à la Constitution les dispositions suivantes :
- dans le premier alinéa de l'article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés, les mots : « qui ont conservé la nationalité française en application de l'article 2 de l'ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962 relative à certaines dispositions concernant la nationalité française, prises en application de la loi n° 62-421 du 13 avril 1962 et » ;
- dans l'avant-dernier alinéa du même article, les mots : « ont la nationalité française et qu'ils » ;
- dans le dernier alinéa de l'article 2 de la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie, les mots : « possèdent la nationalité française et » ;
- dans le paragraphe I bis de l'article 47 de la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 de finances rectificative pour 1999, les mots : « et remplissant les conditions de nationalité telles que définies à l'article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés » ;
- dans le sixième alinéa de l'article 6 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, les mots : « possèdent la nationalité française et » ;
- dans le septième alinéa du même article, les mots : « de nationalité française et » ;
- et, dans l'article 9 de la même loi, les mots : « et qui ont acquis la nationalité française avant le 1er janvier 1995 ».
Article 2.- Cette déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par son considérant 12.
Article 3.- Sont déclarées conformes à la Constitution les dispositions suivantes :
- les autres dispositions de l'article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés ;
- les autres dispositions de l'article 2 de la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie ;
- les autres dispositions de l'article 47 de la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 de finances rectificative pour 1999 ;
- l'article 67 de la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002 ;
- les autres dispositions des articles 6, 7 et 9 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.
Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 février 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 4 février 2011.